Jacques-Henri BERNARDIN de SAINT-PIERRE


Écrivain et botaniste français Jacques-Henri Bernardin de SAINT PIERRE est né au Havre (Seine-Maritime) le 19 janvier 1737 et décédé à Éragny-sur-Oise (Val d’Oise) , le 21 janvier 1814.

En 1771 il embrasse tardivement la carrière des lettres et publie « Voyage à l’île de France » (ancienne île Maurice) puis devient célèbre avec les trois premiers volumes de ses « Études de la nature » (1784).

> Extrait de « Etudes de la nature » <

(DU DELUGE)

… Tout fut englouti dans les eaux cités palais majestueuses pyramides arcs de triomphe chargés des trophées des rois et vous aussi qui auriez dû survivre à la ruine même du monde, paisibles grottes, tranquilles bocages, humbles cabanes asiles de l’innocence I! ne resta sur la terre aucune trace de la gloire ou du bonheur des mortels, dans ces jours de vengeance où la nature détruisit ses propres monuments.

De pareils bouleversements, dont il reste encore une infinité de traces sur la surface et dans le sein de la terre n’ont pu, en aucune manière être produits par la simple action d’une pluie universelle. Je sais que le texte de l’Ecriture est formel à cet égard, mais les circonstances qu’elle y joint semblent admettre les moyens qui, suivant mon hypothèse opérèrent cette terrible résomption.

Il est dit dans la Genèse, « qu’il plut sur toute la terre pendant quarante jours et quarante nuits ». Cette pluie comme nous l’avons dit fut le résultat des vapeurs qui s’élevaient de la fonte des glaces, tant terrestres que maritimes, et de la zone d’eau que le soleil parcourait alors au méridien. Quant au terme de quarante jours, ce temps nous parait suffisant à l’action verticale du soleil sur les glaces polaires, pour les mettre au niveau des mers,

L’expression de « cataractes du ciel » désigne aussi, ce me semble la résolution universelle des eaux répandues dans l’atmosphère, qui y sont soutenues par le froid, dont les foyers se détruisaient alors aux pôles. La Genèse dit ensuite « qu’après qu’il eut plu » pendant quarante jours.

On trouve encore, à la suite du même récit, des expressions analogues aux mêmes causes. « Dieu dit » ensuite à Noé tant que la terre durera la semence » et la moisson, le froid et le chaud, l’été et l’hiver, la nuit et le jour ne cesseront point de s’entresuivent. Le déluge, comme nous l’avons dit, commença le dix-septième jour du second mois de l’année qui était, chez les Hébreux comme chez nous, le mois de février.

Les hommes avaient donc alors ensemencé les terres, et ils ne les moissonnèrent point. Le froid ne succéda point cette année-là au chaud, ni l’été à l’hiver parce qu’il n’y eut ni hiver, ni froid, par la fusion générale des glaces polaires qui en sont les foyers naturels; et la nuit proprement dite, ne suivit point le jour, parce qu’il n’y eut point alors de nuit aux pôles, où il y en a alternativement une de six mois, parce que le soleil parcourant un méridien éclairait toute la terre, comme il arrive lors qu’il est à l’
équateur. J’ajouterai à l’autorité de la Genèse un passage très-curieux du livre de Job qui décrit le déluge et les pôles du monde, avec les principaux caractères que je viens d’en présenter.

(DES ANIMAUX)

Aucun animal n’a manqué d’un membre nécessaire ou n’en a reçu d’inutiles. Des philosophes ont regardé les ergots appendices des pieds du porc, comme superflus parce qu’ils ne portent point à terre mais cet animal, destiné à vivre dans les lieux marécageux où il aime à se vautrer, et à faire avec son boutoir des fouilles profondes, s’y fut souvent enfoncé par sa gloutonnerie, si la nature n’eut disposé au-dessus de ses pieds deux ergots en saillie, qui lui donnent les moyens de s’en retirer. Le bœuf, qui fréquente les bords marécageux des fleuves, en a d’à-peu-près semblables.

du Festival 2021 – Arbres & oiseaux

> Extrait de « Paul et Virginie » <

Lorsque je suis fatigué ta vue me délasse. Quand du haut de la montagne je t’aperçois au fond de ce vallon, tu me parais au milieu de nos vergers comme un bouton de rose. Si tu marches vers la maison de nos mères, la perdrix qui court vers ses petits a un corsage moins beau et une démarche moins légère. Quoique je te perde de vue à travers les arbres, je n’ai pas besoin de te voir pour te retrouver; quelque chose de toi que je ne puis dire reste pour moi dans l’air où tu passes, sur l’herbe où tu t’assieds. Lorsque je t’approche, tu ravis tous mes sens. L’azur du ciel est moins beau que le bleu de tes yeux; le chant des bengalis, moins doux que le son de ta voix. Si je te touche seulement du bout du doigt, tout mon corps frémit de plaisir. Souviens-toi du jour où nous passâmes à travers les cailloux roulants de la rivière des Trois-Mamelles. En arrivant sur ses bords j’étais déjà bien fatigué; mais quand je t’eus prise sur mon dos il me semblait que j’avais des ailes comme un oiseau. Dis-moi par quel charme tu as pu m’enchanter. Est-ce par ton esprit? mais nos mères en ont plus que nous deux. Est-ce par tes caresses? mais elles m’embrassent plus souvent que toi. Je crois que c’est par ta bonté. Je n’oublierai jamais que tu as marché nu-pieds jusqu’à la Rivière Noire pour demander la grâce d’une pauvre esclave fugitive. Tiens, ma bien-aimée, prends cette branche fleurie de citronnier que j’ai cueillie dans la forêt; tu la mettras la nuit près de ton lit. Mange ce rayon de miel; je l’ai pris pour toi au haut d’un rocher. Mais auparavant repose-toi sur mon sein, et je serai délassé. »

Virginie lui répondait: « O mon frère! les rayons du soleil au matin, au haut de ces rochers, me donnent moins de joie que ta présence. J’aime bien ma mère, j’aime bien la tienne; mais quand elles t’appellent mon fils je les aime encore davantage. Les caresses qu’elles te font me sont plus sensibles que celles que j’en reçois. Tu me demandes pourquoi tu m’aimes; mais tout ce qui a été élevé ensemble s’aime. Vois nos oiseaux; élevés dans les mêmes nids, ils s’aiment comme nous; ils sont toujours ensemble comme nous. Écoute comme ils s’appellent et se répondent d’un arbre à l’autre: de même quand l’écho me fait entendre les airs que tu joues sur ta flûte, au haut de la montagne, j’en répète les paroles au fond de ce vallon. Tu m’es cher, surtout depuis le jour où tu voulais te battre pour moi contre le maître de l’esclave. Depuis ce temps-là, je me suis dit bien des fois: Ah! mon frère a un bon cœur; sans lui je serais morte d’effroi. Je prie Dieu tous les jours pour ma mère, pour la tienne, pour toi, pour nos pauvres serviteurs; mais quand je prononce ton nom il me semble que ma dévotion augmente. Je demande si instamment à Dieu qu’il ne t’arrive aucun mal! Pourquoi vas-tu si loin et si haut me chercher des fruits et des fleurs? n’en avons-nous pas assez dans le jardin? Comme te voilà fatigué! tu es tout en nage. » Et avec son petit mouchoir blanc elle lui essuyait le front et les joues, et elle lui donnait plusieurs baisers.