Geneviève PEIGNÉ

Ses ouvrages oscillent entre poésie et roman, théâtre et livres d’artistes. Son écriture à la fois authentique et audacieuse, son humour décalé et osé, viennent enrichir Nature en Livres. Geneviève a enseigné le français pendant des années, est-ce là, l’explication de sa bienveillance ?

Depuis 2012, Geneviève Peigné écrit sous son nom, toujours dans de multiples registres, poésie, récits, livres en collaboration avec des artistes.

Avec L’Interlocutrice  (2015), le lecteur entre dans un univers fantasmatique exacerbé et, un hommage aux pouvoirs de la lecture et de l’écriture, face la maladie d’Alzheimer. A suivre, évidemment.

Son dernier ouvrage, Ma mère n’a pas eu d’enfant, emporte également un certain succès !

Nivernaise d’adoption

> Texte « La pelote qui tricote le Temps » <

Le Temps dégringole de ventre en ventre

Le doute cherche quelle attente a brisé ta naissance

Tant ne tient qu’à un fil suspendu à on ne sait quel ciel

Le cri et sa réponse.

Une petite boule d’astre tournoyante sous les pas

Enfant parmi des enfants d’abord

les bleus inoubliables liquides

sur nos épaules

Le bond du cerf-volant.

Le ciel se remplit le ciel se vide

diastole systole

Tant qu’on ne sait pas le coudre avec sa nuit

le ciel n’est pas réussi.

Le monde nous fait peur

On n’a même pas besoin d’y être pour quelque chose

poussés dedans

Le fil te roule dans sa pelote

nos corps sont faits

pour que cela s’emmêle.

Le désir      la réalité

la paire d’aiguilles

pas serrer

                    donner du jeu

les croiser peut surgir de n’importe qui

le Temps nous doit la vie.

La pelote qui tricote le Temps, livre d’artiste, Éditions Catherine Liégeois, 2020

> Texte « Les petits ciseaux font les grandes civières » <

La graisse secouée autour des genoux d’un joggeur replet… l’atterrissage à contre-courant d’un canard provoquant un éclaboussement d’eau puis tirant dans ses palmes derrière lui la lumière. S’il faut avoir des ailes, deux paires : celles de moulin pour faire noria du quotidien quand celles d’Éros métamorphosent. 

*

Le verger croule de fruits, le jardin est en fleurs, un pic vient de se poser sur le haut sapin.

Si c’est par une aussi belle journée que mes parents ont décidé de me faire, à deux doigts de leur pardonner.

*

Dans ces peintures rupestres réalisées à faible lumière vacillante, le bas des pattes des mammouths n’est pas représenté pour donner une idée de mouvement… Peintures dos au sol, ou courbés, au fond de culs-de-sac oppressants. Et dans la tanière de l’ours… La barre est placée haut dès l’art originel…

*

«J’ai cassé les cieux », dit quelqu’un derrière moi. Non. Ce n’était pas ça. Pas une prise de conscience écologique, ni une angoisse ontologique. L’homme téléphonait à son garagiste.

Un sursis.

*

Soulever, faire apparaître (affaire de mots) – et obtenir ça à coups de grue (pas les oiseaux). Puis du sol j’observe le grutier au fond du ciel avec sa rame sur son épaule.

Je me dis : C’est léger et ça peut avancer. Grutons.

*

Chablis, Yonne. Coteaux calcaires et fumées blanches des feux de sarments qui s’élèvent dans les vignes. De loin, sous le grand soleil, si mesuré, si strict, l’alignement des piquets et des ceps. J’aime ce vin pourtant. A distance une vision de cimetière militaire. Ceps noirs en théories, en files indiennes, sur un sol qu’on dirait de vaisselle, d’assiettes blanches récurées. « Une minéralité forte donnant des arômes et des goûts de pierre à fusil. » L’étonnement, chaque fois renouvelé, qu’on puisse célébrer un vin pour ça. Le vin préféré de qui ? Il n’y en a pas que j’aime davantage.

Les petits ciseaux font les grandes civières, L’Atelier des Noyers, 2020