Pierre de Saint Cloud

Pierre de Saint-Cloud est un poète français de la seconde moitié du XIIe siècle. Les branches II et V du Roman de Renart lui sont attribuées.

Le mot renard est le résultat de l’emploi, comme nom commun, du nom du héros de ce roman.

Le Roman de Renart (2 épisodes)

I – Renart et Hersent la rencontre

Renart prend alors la route,
et s’en va en coupant à travers bois.
Par monts et par vaux,
Renart s’en va par petits bonds.
Il a bien confondu ses amis,
il se sent tout à fait à l’aise pour les jambons.
Il s’en va fuyant tout librement
sans jamais s’arrêter, et tellement il s’écarte
du chemin, qu’il se précipite dans une haie
au-dessus d’un trou obscur.
Il lui arrive alors une aventure
d’où il n’eut qu’ennuis et tourments,
car c’est là que commence la querelle
contre le connétable Ysengrin,
à cause d’un terrible péché digne du diable.
Quand il voit la roche creusée,
ne sachant ce que c’est, il s’en approche
pour s’informer et pour voir
si on a caché quelque fortune.
Afin d’en savoir plus il se laisse descendre,
et se retrouve au milieu de la grand-salle
de seigneur Ysengrin son bon ami.
Il y a ses quatre louveteaux couchés au centre,
et dame Hersent la louve
qui nourrit et couve les louveteaux.
Elle a accouché nouvellement,
elle donne à chacun sa tétée,
mais elle n’a pas couvert sa tête.
Elle surveille, elle voit ainsi la porte entrouverte,
mais la clarté la gêne trop.
Elle lève sa tête pour regarder
et savoir qui est venu là.
Renart est grêle et menu,
il est caché derrière la porte;
alors Hersent s’en réconforte grandement
car elle l’a bien reconnu à son pelage roux.
Elle ne peut s’empêcher de s’agiter,
ainsi elle lui dit en riant:
« Renart, qu’avez-vous à épier ? »
Quand Renart se rend compte qu’il est vu
et qu’il est reconnu,
il est alors tout déconfit,
il est convaincu d’être couvert de honte.
Il n’ose dire mot tant il a peur
car on n’y voit goutte ici.

II – Hersent soulève la tête

puis l’appelle à nouveau,
et lui fait signe de venir de son doigt mince :
« Renart, Renart, on voit à votre pelage
que vous êtes perfide et mauvais;
jamais vous ne souhaitez me faire plaisir,
ni ne venez là ou je suis.
Je ne connais pas de tel compère
qui ne rende pas visite à sa commère. »
Renart a grand-peur, il est effrayé mais
il ne peut s’empêcher de lui répondre :
« Madame, fait-il, que Dieu me confonde
si jamais par méchanceté ou par haine,
je vous ai évitée alors que vous étiez en couches.
Je serais volontiers venu avant,
mais quand je vais par ces sentiers,
Seigneur Ysengrin m’épie
à chaque voie et à chaque chemin.
À cause de cela je ne sais quoi faire
tellement votre mari me hait :
il commet là un grand péché que de me haïr.
Mais que ma personne soit damnée
si jamais je lui ai fait la moindre chose
dont il devrait me porter rancune.
Pour cela je n’ose pas vous fréquenter,
je pourrais même me mettre fortement en colère.
Je vous aime d’amour, prétend-il,
ainsi qu’il s’en est plaint de nombreuses fois
à ses amis dans le pays.
Il leur a même promis de l’argent
pour me causer du tort et me faire honte.
Mais dites-moi, quel intérêt aurais-je
à vous demander une telle folie ?
Sérieusement, je ne le ferai pas,
de tels propos ne seraient pas élégants. »

NOTES :
Ysengrin : le loup, éternel ennemi de Renart, toujours dupé. Son épouse, Dame Hersent la louve, le fait cocu avec Renart, d’où une éternelle rancœur. Il est l’oncle de Renart.
Hersent : la louve épouse d’Ysengri
Renart : le renard (appelé goupil dans le roman, car c’était la dénomination en usage à l’époque) espiègle, rusé, personnage principal de ces récits. Complexe et polymorphe, allant du bon diable redresseur de torts au démon lubrique, fripon et débauché, il incarne la ruse intelligente liée à l’art de la belle parole. Aussi appelé « le maître des ruses ».